photo de joanne et corinne atteinte d'alzheimer

Agée de 23 ans seulement, Joanne prend soin seule de sa mère, Corinne, atteinte d’Alzheimer précoce. Depuis deux ans, elle l’accompagne courageusement et nous raconte son histoire, son quotidien d’aidante, les dispositifs dont elle bénéficie et ce qu’elle retient de cette nouvelle réalité qui les touche. Voici son témoignage.

temoignage d'une aidante d'un proche atteint par la maladie Alzheimer

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

« Je m’appelle Joanne, j’ai 23 ans, je suis étudiante en hôtellerie / restauration et je vis à Colmar. Je suis aidante pour ma mère qui a été diagnostiquée malade d’Alzheimer, stade 2, il y a 2 ans.

Depuis un an maintenant, je fais une pause dans ma vie personnelle pour m’occuper de ma mère et pour faire le tour du monde avant que la maladie ne s’aggrave encore plus. »

Comment la maladie est-elle entrée dans ta vie ?

Depuis mes 17 ans, je vis aux côtés de la maladie. Elle a d’abord touché mon père, atteint d’un cancer, puis ma mère. Mais chez elle, la maladie ne s’est pas déclarée tout de suite.

A l’époque, la communication était de plus en plus difficile entre ma mère et moi. Quand je disais « A », elle comprenait « B », je devais souvent me répéter mais elle ne comprenait pas ce que je lui disais. Elle mélangeait énormément les langues car elle en parlait 5, notamment par son métier d’hôtesse de l’air. Alors j’imaginais que cela était dû à son travail et aux jetlags qu’elle devait subir au quotidien. Entre comptabilité, gestion de l’avion, accueil des passagers, elle était souvent debout 32 heures d’affilée, donc je ne m’inquiétais pas plus que d’habitude.

En 2018, mon grand-père est décédé et c’est à ce moment-là que ma mère a commencé à montrer des signes de la maladie d’Alzheimer, même si nous ne nous doutions pas de son existence.

Elle commençait à chercher ses mots, mais je me disais que s’il y avait un problème mon père me l’aurait dit, même s’il se battait déjà pour sa propre survie.

Un peu plus tard, nous sommes allés en Polynésie Française et c’est dans une situation toute « bête » que nous avons constaté un vrai décalage. Alors que nous lui disions « Monte dans la voiture », elle s’est soudain arrêtée, a regardé le ciel et s’est mise à tourner sur elle-même. C’était bizarre, pourtant mon père n’a pas été plus alerté que ça. Elle rigolait toujours et prenait ses égarements avec le sourire.

En 2021, mon père est finalement décédé à la maison. Je dis toujours que « le regard est le reflet de l’âme ». Et le jour où le cancer a emporté mon père, c’est aussi la dernière fois que j’ai vu ma mère; la dernière fois que j’ai vu son regard. Pour moi, j’avais perdu mes deux parents.

Quels ont été les premiers symptômes de la maladie d’Alzheimer ?

Depuis ce jour, ma mère ne savait plus aligner une phrase correctement. Par exemple, lorsqu’elle était fatiguée, elle disait « 寝る » (Neru) – dormir – en japonais, car elle mélangeait toutes les langues. Elle est également devenue sujette aux crises de paranoïa. Donc je me doutais que quelque chose n’allait pas. Entre tumeur au cerveau, AVC et Alzheimer, je savais déjà au fond de moi que c’était l’un de ces trois cas.

J’ai alors commencé quelques recherches et je suis tombée sur l’émission « Ça commence aujourd’hui » qui présentait le témoignage d’une personne atteinte d’Alzheimer précoce. Je me suis tout de suite dit, « C’est ça, c’est ma mère, j’en suis persuadée ».

Pourtant j’ai continué ma vie d’étudiante en Suisse, j’ai terminé ma dernière année de Bachelor. Je venais de perdre mon père et je n’avais pas envie de me dire que j’avais perdu ma mère aussi, surtout que j’avais raté mon année scolaire. C’était en plein Covid donc je suis restée en Suisse.

Quelques mois ont passé et nos proches commençaient à ressentir la maladie de ma mère. Mon oncle, les voisins, le banquier, qui étaient des amis de la famille, m’avertissaient des signes qu’ils avaient repérés.

A partir de là nous avons commencé les tests.

A 3 semaines de la rentrée, j’ai demandé à mon oncle de prendre en charge les rendez-vous médicaux de ma mère, car je souhaitais profiter avant d’entrer dans la vie active d’adulte. Je voulais voyager, comme tous les étudiants en fin de scolarité.

J’étais donc en Espagne quand il m’a annoncé : « Nous avons fait les tests cognitifs, elle ne sait même plus écrire son prénom. ».

Comment l’as-tu vécu ?

Lorsque mon oncle m’a dit : « Écoute Joanne, il faut que tu reviennes à la maison, que tu arrêtes tout. Tu vas trouver un petit boulot à côté et tu vas t’occuper de ta mère. », ces mots ont été comme un électrochoc. Je l’ai très mal vécu, car je n’avais plus le droit d’exister, comme si l’on m’interdisait de vivre. Je ne me sentais pas du tout soutenue et je me sentais très seule.

En revenant d’Espagne, j’ai emmené ma mère chez le médecin qui nous a confirmé les symptômes.

La maladie d’Alzheimer était bel et bien là. C’était officiel. J’étais soulagée, mais en même temps un peu confuse.

Quand les portes de l’ascenseur se sont refermées, elles ont été le reflet des mes rêves qui ne se réaliseront jamais.

Ma mère pleurait, elle n’arrêtait pas de dire « Pourquoi moi ? Pourquoi je suis punie ? ». La notion d’empathie avait disparu avec elle. C’était très difficile pour moi, même si je compatissais.

Un mois plus tard, ma grand-mère est aussi décédée. J’ai perdu toute ma famille d’un coup.

Comment se sont passés les premiers mois après le diagnostic ?

J’ai décidé de rester en Suisse, je faisais les allers-retours et je me souviens que pendant les trajets en voiture je pleurais beaucoup, car j’avais l’impression de gâcher ma jeunesse. J’étais assez renfermée sur moi-même, ce n’est que récemment que j’ai fini par en parler. Je n’avais même pas parlé de cette situation à mes amis.

Tous les week-ends, je rentrais pour m’occuper de la paperasse. Avec mon travail dans la restauration, j’étais épuisée. J’ai fini par craquer et venir de moins en moins. Je m’isolais, car je n’avais personne à qui parler. Quand je parle de « Deuil blanc » par exemple, les gens ne comprennent pas. Ce n’est plus ma maman, c’est devenu ma mère, je m’en occupe, mais elle n’est plus là.

Malgré les multiples demandes et ma situation, j’ai eu beaucoup de mal à obtenir des aides car ma mère n’a que 55 ans. La MDPH (Maison Départementale pour les Personnes Handicapées) nous avait refusé à cause de son âge et parce qu’elle possédait encore ses capacités motrices. Finalement, la MAIA ( Maison pour l’Autonomie et l’Intégration des malades Alzheimer) m’a répondu et a bien voulu m’aider avec une assistante sociale.

Il y a un peu plus d’un an, je suis devenue antipathique. J’ai tout quitté et j’ai entamé un tour du monde. Pendant ce voyage, j’ai beaucoup appris, découvert, grandi et pris du recul. J’ai enfin fait le deuil de mon père et j’ai essayé de me préparer à revenir pour affronter la dure réalité que sera ma vie d’aidante. C’est ça qui m’a sauvé : de finalement prendre du recul, de voyager et de réaliser mon rêve d’aller en Inde, et ce malgré la situation de ma mère.

Malheureusement pendant mon absence, l’état moteur de ma mère s’est dégradé, donc les organismes l’ont enfin reconnue en situation de handicap.

Aujourd’hui, elle ne peut ni s’habiller, ni manger toute seule. Elle m’a même appelé « Maman » un jour. C’était très dur.

Comment as-tu fait face à tout cela ?

Grâce à l’assistante sociale, nous avons été mis en relation avec Amaelles et nous en sommes ravies. Je suis enfin soulagée car elle bénéficie de toute l’aide dont elle a besoin.

Désormais, nous nous voyons uniquement pour les bons moments. On retisse des liens et je me sens mieux. Nous avons pu prendre un nouveau souffle toutes les deux.

Quel message souhaiterais-tu adresser aux autres aidants ?

Tout d’abord, je vous conseille d’assurer la protection juridique de votre proche. Surtout lorsqu’il vit seul, c’est une personne très vulnérable.

Ensuite, n’hésitez surtout pas à demander de l’aide, pour votre proche malade et pour vous. Que ce soit dans les tâches administratives, dans les soins, les activités, etc.

De mon expérience, je dirais qu’il ne faut surtout pas se renfermer sur soi-même. Allez voir des amis si vous le pouvez, d’autres personnes, sociabilisez-vous, même sans parler de votre situation si vous n’êtes pas prêts. Le but est de briser l’isolement social. Selon moi, il faut prendre le temps pour soi et ne pas s’oublier. Nos proches nous oublient tout doucement et finalement, on a tendance à s’oublier avec.

Alors surtout, n’ayez pas peur de vivre vos rêves !